Décision de la Cour suprême autrichienne dans l'affaire OGH 18 OCg 9/19a : la demande d'annulation d'une sentence arbitrale pour des raisons d'ordre public autrichien est rejetée
Auteur : Rouzbeh Moradi
Introduction
Le 15 janvier 2020, la Cour suprême autrichienne a examiné si une décision arbitrale finale sur le fond violait l'ordre public autrichien (affaire OGH 18 OCg 9/19a). L'arbitrage en question a été conduit selon les règles du Centre international d'arbitrage de Vienne (VIAC), dont le siège est à Vienne. Le défendeur n'a pas obtenu gain de cause dans la sentence du tribunal du 17 mai 2019 (affaire AZ SCH-5533) et a demandé l'annulation de la sentence en demandant à la Cour suprême autrichienne de l'annuler pour deux motifs distincts, à savoir (1) une violation de son droit à être entendu ; et (2) une violation de l'ordre public autrichien formel.
Faits
L'allégation de défaut du défendeur dans la sentence arbitrale VIAC sous-jacente était fondée sur la non-inclusion de preuves et l'annulation d'une audience orale prévue sur le fond.
Lors d'une conférence téléphonique le 17 septembre 2018, les parties avaient convenu de tenir une audition orale entre le 7 et le 10 janvier 2019 en présence de témoins. La conférence téléphonique a permis d'établir le calendrier de procédure convenu et de jeter les bases de la première ordonnance de procédure du tribunal arbitral. Le défendeur (le "demandeur" dans la procédure devant la Cour suprême) a nommé deux témoins le 4 octobre 2018, mais n'a pas soumis leurs déclarations écrites. La présentation d'une déclaration de témoin écrite était - conformément à la première ordonnance de procédure - une condition préalable à l'audition de témoins potentiels lors d'une audience. Le tribunal arbitral a informé les parties le 19 octobre 2018 qu'il tiendrait une audience de deux jours dans le délai convenu, et a ensuite annoncé le 3 décembre 2018 que l'audience aurait lieu les 9 et 10 janvier 2019. Le 14 décembre 2018, le défendeur a annoncé qu'il ne pourrait pas assister à l'audience en raison d'autres obligations commerciales et a donc demandé que l'audience soit reprogrammée. Le 15 décembre 2018, le tribunal arbitral a rejeté la demande du défendeur d'ajourner l'audience au motif que la demande du défendeur avait été soumise "trop tard". Dans un courriel daté du 21 décembre 2018, le défendeur a demandé à nouveau que l'audience soit reprogrammée afin que ses témoins puissent être entendus.
Le 2 janvier 2019, le tribunal arbitral a décidé d'annuler l'audience prévue pour les 9 et 10 janvier 2019 et de statuer sur le fond de l'affaire sur la base des mémoires écrits précédemment présentés. À cet égard, le tribunal arbitral a estimé qu'une audience n'était pas nécessaire étant donné que le défendeur n'avait pas soumis de déclarations écrites de témoins et avait également refusé de comparaître à la date convenue. Le tribunal arbitral a ensuite rendu sa sentence le 17 mai 2019 sans tenir d'audience.
Le demandeur a demandé l'annulation de la sentence et s'est appuyé sur le § 611 Paras. 2, paragraphes 2 et 5, du code de procédure civile autrichien (ZivilprozessordnungouZPO) en invoquant une violation de son droit à être entendu et de l'ordre public autrichien formel.
Décision
La Cour suprême a rejeté la demande, estimant qu'il n'y avait pas de violation de l'ordre public autrichien sur la base des faits présentés par le demandeur. La Cour a déclaré que les motifs d'annulation ne sont remplis que si les valeurs fondamentales du système juridique autrichien, y compris les principes d'une procédure ordonnée, ont été violées. À cet égard, c'est le résultat de la sentence arbitrale qui est décisif et non le raisonnement du tribunal arbitral. Dans sa décision, la Cour a examiné deux points : (1) l'annulation de l'audience ; et (2) la non-inclusion de preuves/témoins.
En ce qui concerne l'audience, la Cour a réaffirmé une jurisprudence constante et a estimé que seule l'absence totale d'arbitrage équivaut à une violation du droit d'être entendu[1]. La date fixée par le tribunal arbitral a été respectée dans le délai convenu par les parties, et les deux parties ont eu suffisamment de temps pour s'opposer à la programmation de l'audience. Se référant aux circonstances factuelles en cause, la Cour a estimé que la décision du tribunal arbitral de rejeter la demande du demandeur d'ajourner puis d'annuler l'audience n'a pas violé les principes fondamentaux du droit procédural autrichien et le droit d'être entendu en vertu de l'article 611, paragraphe 2, alinéa 2, du ZPO.
En ce qui concerne la non-inclusion des témoins, la Cour s'est une nouvelle fois référée à une jurisprudence constante et a estimé que la non-inclusion des preuves demandées n'entraîne pas en soi l'annulation d'une sentence arbitrale[2]. Les valeurs fondamentales du droit procédural n'auraient été violées que si le tribunal arbitral avait agi de manière arbitraire. La Cour a en outre jugé qu'en raison de l'absence de déclarations écrites des témoins, il était raisonnable pour le tribunal arbitral de supposer que les preuves testimoniales ne seraient pas présentées, et que le tribunal n'a donc pas agi arbitrairement en déterminant qu'une audience était inutile.
La Cour a toutefois fait référence au § 598 ZPO qui stipule que ‘Sauf convention contraire des parties, le tribunal arbitral décide s'il y a lieu de tenir des audiences ou si la procédure doit se dérouler par écrit. Lorsque les parties n'ont pas exclu la tenue d'une audience, le tribunal arbitral tient cette audience à un stade approprié de la procédure si une partie le demande.’[3] En d'autres termes, étant donné qu'une audience orale n'a pas été explicitement exclue par les parties et que le demandeur a effectivement présenté une demande d'audience orale, le tribunal arbitral aurait dû en théorie tenir une audience orale. À cet égard, la Cour a également rappelé une décision antérieure confirmant que l'absence d'audience pouvait être considérée comme une violation du droit procédural autrichien fondamental conduisant à l'annulation d'une sentence arbitrale[4].
Néanmoins, la Cour a estimé qu'une violation du principe consacré par l'article 598 ZPO n'entraînait en l'espèce qu'une violation "régulière", par opposition à une violation "obligatoire", de l'ordre public autrichien officiel, cette dernière étant tenue d'annuler une sentence. Le fait que la demande d'audience du plaignant ait été présentée après le délai de procédure convenu a été décisif dans cette appréciation. Il est intéressant de noter que, selon le droit procédural autrichien, si une juridiction étatique était confrontée aux mêmes circonstances factuelles, elle serait, en revanche, obligée de tenir une audience, même si elle estimait qu'une telle audience n'était pas nécessaire.
En conclusion, la Cour suprême a estimé que la sentence arbitrale ne violait pas le droit du défendeur à être entendu (article 611, paragraphe 2, alinéa 2, ZPO) ou les valeurs fondamentales du système juridique autrichien (article 611, paragraphe 2, alinéa 5, ZPO) et a donc rejeté la demande d'annulation de la sentence arbitrale présentée par le demandeur.
Commentaire
La Cour suprême a une nouvelle fois déterminé que l'exception d'ordre public ne peut être utilisée que dans les cas les plus extraordinaires. Cette décision de la Cour suprême vient s'ajouter à la longue liste des cas dans lesquels une demande d'annulation d'une sentence arbitrale a été rejetée, et rappelle le seuil élevé fixé par la Cour suprême autrichienne pour déterminer les violations potentielles de l'ordre public autrichien.
Il est toutefois intéressant de noter dans ce cas particulier l'approche de la Cour suprême autrichienne dans l'évaluation de la conduite d'un tribunal arbitral par rapport à celle d'une juridiction étatique. Comme indiqué, la Cour suprême a estimé que si les circonstances factuelles de cette affaire étaient appliquées à une procédure étatique, il y aurait eu violation de l'ordre public autrichien. On pourrait donc soutenir que la décision de la Cour suprême à cet égard était contradictoire tout en soulevant simultanément la question de savoir si et dans quelle mesure la conduite des tribunaux arbitraux et des juridictions étatiques doit être évaluée selon les mêmes normes.