Réflexions sur la légitimité, la durabilité et l'avenir de la SIPD en temps de crise
Auteur : Sharon Schmidt
La pandémie COVID-19, qui constitue une crise sanitaire à la fois économique et sociale, a entraîné des pertes humaines indicibles et menacé l'économie mondiale, ne laissant aucune industrie ou interaction personnelle intacte. Compte tenu de sa gravité pour la santé publique et de ses effets néfastes sur les économies du monde entier, les gouvernements ont joué un rôle actif dans la lutte contre la propagation du virus en adoptant de vastes restrictions de voyage et de mobilité tout en prétendant maintenir l'approvisionnement en denrées alimentaires essentielles ainsi qu'en équipements médicaux et en services de santé. Malgré la légitimité de ces interventions, leur mise en œuvre a finalement entraîné de profondes conséquences économiques, mettant en péril la vitalité des entreprises et ayant un impact sur les entreprises en retardant leurs opérations ainsi qu'en réduisant considérablement leur rentabilité. La suspension des libertés entrepreneuriales et la perturbation de la concurrence devraient entraîner un risque sans précédent d'arbitrages en matière d'investissement, découlant des plus de 3 000 traités bilatéraux d'investissement (TBI) actuellement en vigueur.1 conclus dans le monde entier, dont 69 sont actuellement en vigueur en Autriche seulement.
Cet article cherche à mettre en évidence les avantages associés au règlement des différends entre investisseurs et États (RDSI) pour la protection des entreprises en période de difficultés économiques, tout en soulignant les dangers d'un système qui offre aux investisseurs étrangers d'importantes possibilités de redressement tout en limitant le pouvoir des États de protéger le public face à une adversité sans précédent. En reconnaissant les faiblesses de procédure et de fond de la SIPD, cet article abordera les propositions de réforme et proposera des réflexions sur la manière de remédier à ses faiblesses en matière d'équilibre entre les droits des investisseurs et les autres intérêts de la société.
Le point d'entrée pour un engagement dans les discussions sur la SIPS est double. Premièrement, il est primordial de noter que cet article n'ignore pas que la pandémie constitue une urgence publique d'une profondeur et d'une ampleur sans précédent dont les investisseurs internationaux et la communauté internationale d'arbitrage peuvent maintenant être enclins à tirer parti. Deuxièmement, il ne faut pas oublier qu'un risque de litige d'une telle ampleur finira par faire peser de lourdes menaces sur la santé publique et socio-économique à l'échelle nationale et mondiale. Par conséquent, compte tenu des défis extraordinaires qui se posent aux niveaux multilatéral, régional et national, cet article reconnaît le danger associé à l'introduction précipitée de poursuites et au jugement prématuré de telles procédures.
La question
Compte tenu de la crise sanitaire persistante, les juristes se tournent de plus en plus vers les accords internationaux d'investissement (AII) pour protéger les entreprises dont les opérations transfrontalières auraient été endommagées par des réglementations et des politiques injustes, arbitraires ou discriminatoires liées à la COVID-19. Les AII sont mis en œuvre par l'intermédiaire de l'ISDS et permettent aux investisseurs étrangers d'arbitrer des procédures contre les États hôtes devant un tribunal arbitral indépendant, ce qui leur permet de réclamer des sommes importantes en compensation. Avec l'émission de sentences arbitrales contraignantes, définitives et exécutoires au niveau international, ces demandes ont ainsi été perçues comme un puissant instrument protectionniste entre les mains des investisseurs étrangers. Pourtant, en offrant aux entreprises internationales des moyens d'obtenir des compensations financières qui ne leur seraient pas accessibles dans le cadre de leurs systèmes juridiques nationaux respectifs, l'architecture actuelle de la gouvernance des investissements étrangers a également fait l'objet de critiques sévères de la part des juristes, des syndicats et des groupes de la société civile. Il est avancé qu'en l'absence d'un cadre de règles délimitant le pouvoir des tribunaux, les actions souveraines sont indûment entravées, ce qui conduit à la création d'un "système de justice parallèle". Les liquidités des entreprises ayant la priorité sur le bien-être de la communauté, le régime ISDS est accusé de constituer une structure juridique immorale qui ne parvient pas à faciliter un partage équitable des bénéfices de l'activité économique tout en donnant la priorité aux intérêts des entreprises, en renforçant les préjugés systémiques et en créant des fractures sociales.2
C'est ici que la question centrale des discussions entourant la SIPC est mise à jour et qu'une clarification sur la synergie potentielle entre le droit international et le droit constitutionnel national devient indispensable.
Demandes futures attendues
Le droit constitutionnel confère aux autorités de l'État un pouvoir discrétionnaire étendu dans l'adoption de mesures préventives en temps utile et de manière efficace. Le fait que les États soient en mesure d'exercer légitimement leurs pouvoirs souverains pour protéger la santé/la vie et défendre les politiques mises en œuvre sur la base d'une véritable nécessité n'empêche toutefois pas que la législation d'urgence soit soumise à un contrôle judiciaire.3
Les droits conventionnels qui peuvent être invoqués devant un tribunal arbitral peuvent inclure le droit à une indemnisation en cas d'expropriation directe (c'est-à-dire la prise de propriété), d'expropriation indirecte (c'est-à-dire la prise de contrôle d'une propriété), le droit à la sécurité et à la protection ainsi que le droit à un traitement juste, équitable et national.
On peut donc s'attendre à une avalanche de demandes d'ISDS, entre autres :
- Pertes de revenus dues aux restrictions de la liberté de circulation ;
- Réglementation des prix de l'État garantissant l'accessibilité financière des médicaments, des tests et des vaccins ;
- Mesures d'aide financière pour soutenir les systèmes de santé surchargés ;
- Contrôle des prix des loyers et allègement des paiements hypothécaires ;
- Suspension des factures d'énergie ;
- Allégement de la dette des ménages et des entreprises ;
- Mise en œuvre de moratoires sur les contrats d'exportation ;
- Suspension de l'émission des dividendes, des rachats d'actions, des primes aux dirigeants ;
- la suspension de la perception des redevances sur les routes nationales à péage gérées par le secteur privé ; et
- Réquisition d'établissements hospitaliers privés, nationalisation d'hôpitaux privés ou autorisation de la production de ventilateurs par des fabricants désignés.
Le passé, le présent et l'avenir
L'introduction de poursuites entre investisseurs et États en temps de crise sociétale n'est pas un phénomène nouveau. Les illustrations de l'utilisation de l'ISDS remontent à de nombreuses périodes d'instabilité politico-économique, notamment la crise financière mondiale en 2007-2008, la crise bancaire chypriote en 2013 ou des périodes de troubles civils telles que le printemps arabe en 2011-2012.4 Les limites de la liberté de l'État et de la protection des investisseurs ont également été mises à l'épreuve dans le contexte de la réaction du gouvernement argentin à son effondrement financier à la fin de 2001 et en 2002, qui a vu les droits des investisseurs considérablement restreints.5 Grâce à des mesures telles que le gel des tarifs des services publics ou la dépréciation du taux de change en réponse à une chute du PIB de 50% ainsi qu'à un taux de chômage et de pauvreté de 20% et 50% respectivement, l'Argentine est devenue la partie défenderesse dans plus de 50 affaires ISDS d'ici 2014.6
Comme les États luttent actuellement pour reconstruire leurs économies et contenir la propagation de la COVID-19, ils peuvent recourir au droit coutumier (codifié dans l'art. 20-5 des articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l'État) ou au droit des traités (codifié dans les AII, c'est-à-dire la force majeure, la nécessité, la détresse) comme défenses potentielles aux demandes de l'ISDS.7 La prévalence d'une défense fondée sur le droit coutumier, cependant, repose sur des bases instables. À cet égard, la défense de nécessité fournit spécifiquement un cas d'espèce qui, s'il est plaidé avec succès, requiert la présence de quatre éléments, à savoir (1) une menace grave/imminente ; (2) une menace d'un intérêt essentiel ; (3) une atteinte grave à un autre intérêt essentiel par l'action de l'État ; (4) l'action de l'État étant la seule façon de sauvegarder un intérêt essentiel d'un péril grave et imminent.8 En outre, le moyen serait rejeté si l'obligation exclut le recours à la nécessité et si l'action de l'État concerné contribue à cette nécessité.9 Le quatrième élément fixe un seuil particulièrement élevé en exigeant que les États aient envisagé un nombre indéterminé de mesures alternatives qui auraient pu permettre d'atteindre le même objectif sans enfreindre les obligations des États envers les investisseurs.
De même, la plupart des TBI sont muets sur la portée de l'exigence de non-contribution et souffrent donc d'une grave incertitude quant à son interprétation. Il semble impossible d'évaluer l'adéquation des multiples actions de l'État et de déterminer dans quelle mesure elles ont pu conduire à une crise pourtant sans précédent et imprévisible. Non seulement l'imprécision de ces normes du traité se prête à des résultats potentiellement contradictoires, mais les tribunaux ne sont pas non plus liés par des décisions antérieures, ce qui laisse aux critiques la possibilité de demander un moratoire immédiat sur le mécanisme de la SIPC.
La raison d'être du moratoire sur les demandes d'ISDS est triple. Tout d'abord, il est postulé que, sur la base de l'hypothèse du refroidissement réglementaire, les États s'abstiendront de mettre en place les mesures nécessaires pour lutter contre la propagation virale du COVID-19.10 De plus, le flou des normes du traité conduirait à des revendications spéculatives tout en détournant l'attention de l'urgence pour les États de s'occuper de leurs efforts d'endiguement de la pandémie.11 Enfin, la menace imminente de montants exorbitants devrait peser lourdement sur les crises budgétaires désastreuses auxquelles sont confrontés en particulier les pays en développement.12
Il ne fait aucun doute que l'objectif, la structure et la jurisprudence de l'ISDS doivent être révisés. Trop souvent, les pertes sociétales et le bien-être de la communauté sont restés en dehors du récit de l'arbitrage de l'État investisseur. Il est primordial que l'arbitrage des réponses de l'État s'abstienne de renforcer la représentation des droits socio-économiques et culturels comme une entrave aux droits des investisseurs. Un système qui offre une plus grande protection aux entreprises en leur accordant un accès sans entrave et sans doute incontesté à un recours juridique international, mais qui, en fin de compte, agit au détriment de ceux que les États cherchent à protéger, ne peut être maintenu. Dans le même temps, les principes fondamentaux de l'État de droit international tels que la clarté, la cohérence, la prévisibilité ou l'équité procédurale ne doivent pas être ignorés.
Conclusion
À l'heure où une crise sanitaire mondiale est aggravée par une crise économique profonde, on a fait valoir que la nécessité d'éviter les demandes de dérogation au titre de l'ISDS n'a jamais été aussi grande.13 Pourtant, c'est la jonction entre l'autonomie souveraine, l'intérêt public et le droit privé qui offre l'occasion de repenser les structures établies d'arbitrage des investissements et d'envisager de nouvelles façons de naviguer entre elles. Un certain nombre de solutions potentielles ont été proposées. Comme indiqué plus haut, certains ont demandé la suspension complète des demandes d'ISDS concernant les mesures relatives à la pandémie COVID-19. D'autres ont présenté des options d'urgence, notamment le retrait ou la résiliation des accords bilatéraux d'investissement existants, comme une option viable pour pallier les insuffisances du système.14 Toutefois, pour maintenir les préceptes de l'État de droit international dans un contexte d'arbitrage des investissements, l'établissement de normes d'examen adéquates doit passer au premier plan des efforts de réforme de la SIPC. Ce n'est qu'en reconnaissant les effets sans précédent de COVID-19 et en encourageant la coopération interétatique pour clarifier l'application des défenses du droit international, qu'une réponse coordonnée et durable aux infirmités de l'arbitrage des investissements pourra être assurée. Il est prévu que la 39e session du groupe de travail III de la CNUDCI, qui se tiendra en octobre, offre une plate-forme pour l'échange inclusif et transparent de propositions visant à réformer les mécanismes existants de résolution des litiges liés aux investissements.
Notes de bas de page
1. Maina, N. ; Brewin, S. ; Bernasconi-Osterwalder N. (2020) Protection contre les réclamations des investisseurs et des États au sein de COVID-19 : Un appel à l'action pour les gouvernementsInstitut international du développement durable. Disponible à l'adresse suivante https://www.iisd.org/system/files/publications/investor-state-claims-covid-19.pdf [consulté le 10.09.2020], p1.
2. Davitti, D. ; Ho, J. ; Vargiu P. ; Vastardis A. (2020) COVID-19 et la précarité du droit international des investissements. Collectif IEL. Disponible à partir de : https://medium.com/iel-collective/covid-19-and-the-precarity-of-international-investment-law-c9fc254b3878 [consulté le 14.09.2020].
3. Benedetteli, M ; Coroneo, C. ; Minella, N. (2020) Les mesures d'urgence COVID-19 pourraient-elles donner lieu à des demandes d'investissement ? Premières réflexions de l'Italie. Revue de l'arbitrage mondial. Disponible auprès de : https://globalarbitrationreview.com/article/1222354/could-covid-19-emergency-measures-give-rise-to-investment-claims-first-reflections-from-italy [consulté le 15.04.2020].
4. Maina, N. ; Brewin, S. ; Bernasconi-Osterwalder N. (n i), pp3-4.
5. Burke-White, W. (2008) La crise financière argentine : La responsabilité de l'État en vertu des TBI et la légitimité du système CIRDIU of Penn, Inst for Law & Econ Research Paper No. 08-01. Disponible auprès du SSRN : https://ssrn.com/abstract=1088837 ou http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.1088837 [consulté le 12.09.2020], p4.
6. Maina, N. ; Brewin, S. ; Bernasconi-Osterwalder N. (n i), pp3-4.
7. Paddeu, F. ; Parlett, K. (2020) COVID-19 et les revendications des traités d'investissement, Kluwer Arbitration Blog. Disponible à partir de : http://arbitrationblog.kluwerarbitration.com/2020/03/30/covid-19-and-investment-treaty-claims/ [consulté le 12.09.2020].
8. Ibid.
9. Ibid.
10. Ranjan, P. (2020) Covid-19 et le moratoire sur la SIPC - une proposition peu discrèteOpinioJuris, disponible auprès de http://opiniojuris.org/2020/06/15/covid-19-and-isds-moratorium-an-indiscreet-proposal/ [consulté le 13.10.2020].
11. Maina, N. ; Brewin, S. ; Bernasconi-Osterwalder N. (n i), pp3-4.
Burke-White, (n v), p5.
12. Ibid.
13. "Encaisser des fonds sur la pandémie : comment les avocats se préparent à poursuivre les États sur les mesures de réponse à la COVID-19". (2020) Corporate Europe Observatory, disponible à l'adresse suivante https://corporateeurope.org/en/2020/05/cashing-pandemic-how-lawyers-are-preparing-sue-states-over-covid-19-response-measures [consulté le 14.09.2020].
14. Ibid.
Le contenu de cet article est destiné à fournir un guide général sur le sujet. Il convient de demander l'avis d'un spécialiste sur votre situation particulière.