Autriche : Réclamations de masse et consentement dans l'arbitrage des investissements : Une énigme irréconciliable ?
Auteur : Harshal Morwale
Introduction
L'Encyclopédie Max Planck de droit international définit les "réclamations de masse" comme des demandes d'indemnisation lorsqu'un grand nombre de parties ont subi des dommages résultant du même événement diplomatique, historique ou autre.1 En ce sens, les revendications de masse existent depuis longtemps. Étant donné la nature diplomatique et historique du terme, les revendications de masse ont principalement existé dans le paysage du droit international public, laissant peu de place aux intérêts du droit international privé pour entrer dans son champ d'application. Cependant, étant donné la greffe relativement récente du règlement des différends internationaux privés dans le droit international public par le biais de l'arbitrage des investissements, il existe une nouvelle place pour les réclamations de masse. Cette question a fait l'objet d'une analyse presque microscopique dans le Abaclat et les affaires ultérieures de la crise des obligations argentines (Alemanni et Ambiente). Avec le cas récent de Adamakopoulos c. ChypreLe sujet a une fois de plus gagné en importance.
Cet article évalue tout d'abord l'état actuel des réclamations de masse en se référant particulièrement à la position adoptée par les tribunaux d'investissement lorsqu'ils traitent des réclamations de masse. Ce faisant, l'article identifie les zones d'ombre dans ce contexte. À ce jour, aucune affaire de recours collectif n'a atteint le stade de l'adjudication finale, et la faisabilité des recours collectifs et des solutions connexes n'a pas encore été testée. Par conséquent, chaque modèle doit être pris avec un grain de sel.
Abaclat
L'approche du tribunal de la majorité, dans l'affaire Abaclat a fait l'objet de critiques sévères. La sentence sur la compétence a également été fortement contestée par le professeur Abi Saab, le président du tribunal.2
Dans cette affaire, le tribunal a été confronté à la question de traiter 60 000 demandeurs. Dans la décision sur la compétence, le tribunal majoritaire a rendu des conclusions intéressantes. Son étiquette de "réclamation de masse" par le tribunal majoritaire a changé la nature de l'arbitrage et a créé un ensemble de problèmes de procédure qui ne sont pas abordés dans la Convention du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements ("CIRDI") ou dans le Règlement.
Le tribunal majoritaire a estimé, en l'absence de règles spécifiques, qu'il était compétent pour combler les lacunes afin d'adapter les procédures de la manière la plus appropriée pour un si grand nombre de demandeurs. On peut dire que le tribunal a négligé les implications liées au consentement qu'une telle adaptation entraînerait. En substance, la majorité a déclaré que tant qu'il y a compétence à l'égard d'un demandeur, la compétence peut être étendue pour couvrir un nombre quelconque de demandeurs. Elle a caractérisé l'adaptation comme une question de recevabilité.3
L'étiquetage d'une réclamation comme réclamation de masse pourrait signifier deux choses - soit il s'agit d'une réclamation, qui regroupe des réclamants distincts dans un processus unique, soit il s'agit d'une action collective, qui est une réclamation introduite par une partie au nom d'une catégorie spécifique de personnes. Le tribunal majoritaire a adopté une approche hybride, déclarant que même si les demandes étaient séparées, il y avait un élément de recours collectif présent dans l'affaire en question.
Concrètement, le tribunal a dû adapter les changements de procédure, puisque, comme mentionné précédemment, les réclamations de masse ne sont pas traitées dans la Convention du CIRDI. L'article se penchera maintenant sur les conséquences que ces écarts ont entraînées.
Le consentement est au cœur de l'arbitrage en matière d'investissement (ou de tout autre arbitrage), car il est un facteur déterminant pour la compétence d'un tribunal d'investissement. Dans l'arbitrage d'investissement, contrairement à l'arbitrage commercial, les États émettent une offre permanente d'arbitrage (consentement de l'État), qui est acceptée par l'investisseur (consentement de l'investisseur) au début du processus d'arbitrage d'investissement.
Lorsqu'un État consent à un arbitrage dans le cadre du CIRDI, il le fait en pensant qu'il sera soumis à une procédure spécifique inscrite dans la convention du CIRDI et/ou dans les règles d'arbitrage du CIRDI. Par conséquent, la question est de savoir si, si l'on crée une divergence de procédure, celle-ci ne serait pas en conflit direct avec le consentement de l'État et une question de compétence ? Le tribunal majoritaire a estimé le contraire et a donc qualifié les questions de modification de procédure de recevabilité.
Si le tribunal ne délègue pas ses pouvoirs juridictionnels, alors il n'y a pas de problème de compétence qui se pose. Cependant, c'est à cet égard que le tribunal majoritaire a délégué son pouvoir juridictionnel à une autre personne (par exemple un algorithme ou un système). Si c'est le cas, le tribunal exige un consentement supplémentaire, ce qui fait que la question devient une question de compétence.
Ambiente
Dans Ambientele nombre de demandeurs était nettement inférieur, à savoir 90 demandeurs. Dans cette affaire, le tribunal majoritaire a distingué la demande "multipartite" de la "procédure collective de type class action ou réclamation de masse".4 En outre, le tribunal a rejeté l'idée que le nombre de demandeurs pourrait en soi nécessiter l'adaptation des dispositions procédurales pour garantir la gérabilité ou l'équité de l'affaire.
En ce qui concerne la portée du consentement de l'Argentine à une procédure multipartite, le tribunal a exprimé des doutes quant à l'existence d'un seuil potentiel basé sur un nombre maximum de demandeurs. En tout état de cause, le tribunal majoritaire a estimé que 90 demandeurs ne dépassaient aucun seuil applicable.5
Alemanni
Le tribunal en Alemannia pris ses distances, avec précaution et à juste titre, par rapport Abaclat. Le tribunal a décidé que le CIRDI n'avait pas besoin de ces réclamations de masse et n'avait pas prévu de dispositions à cet effet, mais que ces dispositions exigeaient une procédure multipartite.6 Il convient de noter que le nombre de demandeurs était autrefois nettement plus faible dans les Abaclat. En outre, il a été soutenu que cette affaire, centrée sur le même litige et pour des raisons de maintien de l'homogénéité, devrait être caractérisée comme une affaire multipartite.
Adamakopoulos
La sentence sur la compétence, dans cette affaire, a été rendue le 7 février 2020. Le tribunal majoritaire a adopté une approche nuancée. S'appuyant sur AbaclatLe tribunal a également considéré que le terme de réclamation collective ne signifiait pas un arbitrage de recours collectif.7
En se distinguant de AbaclatLe tribunal de la majorité a déclaré qu'il n'avait pas le pouvoir d'adapter le processus. En conséquence, la majorité s'est abstenue de créer une procédure spéciale, mais a adopté le raisonnement de Alemanni, qui soulignait l'importance des revendications constituant un seul litige compte tenu de leur homogénéité.
Cadre institutionnel contemporain
L'architecture contemporaine des traités n'est pas bien équipée pour faire face aux revendications de masse. Les règles de l'American Arbitration Association (AAA) en matière de recours collectif8 par exemple, sont très différentes du cadre du CIRDI, car il n'est pas possible de certifier une classe ou de faire réviser sa décision par un tribunal. Par conséquent, le droit des demandeurs à déterminer l'arbitre est entravé. Il prive également le défendeur du droit de faire juger chaque litige séparément.
Conclusion
Le Abaclat a créé des notions intéressantes sur le traitement des réclamations de masse dans le contexte de l'arbitrage en matière d'investissement. Le thème commun et le consensus général dans l'affaire Abaclat et, plus tard, que l'arbitrage en matière d'investissement ne dispose pas actuellement d'un cadre pour le traitement des réclamations de masse. À l'heure actuelle, si le tribunal ne délègue pas ses pouvoirs juridictionnels, il n'y a pas de problème de consentement et donc de compétence. Toutefois, si le nombre de plaintes dépasse un certain seuil et que le tribunal délègue son autorité à un système ou à une adaptation du système, il s'agit alors d'une question de compétence.
Une réponse plus facile à la question au départ serait de traiter les revendications de masse comme une question multipartite. Toutefois, le nombre élevé de demandeurs rendrait cette entreprise difficile, d'autant plus que les traités et les règles du CIRDI ne constituent pas un cadre substantiel pour traiter ces questions. Dans le traitement des réclamations de masse, les questions liées au consentement sont celles que les tribunaux doivent garder à l'esprit.
Notes de bas de page
1 HM Holtzmann, "Mass Claims" dans l'Encyclopédie Max Planck de droit international public
2 Abaclat c. Argentine, décision sur la compétence et la recevabilité, opinion dissidente du professeur Georges Abi-Saab, 28 octobre 2011, affaire CIRDI n° ARB/08/9
3 Abaclat c. Argentine, décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, affaire CIRDI n° ARB/08/9, paragraphe 492
4 Ambiente c. Argentine, décision sur la compétence et la recevabilité, 8 février 2013, affaire CIRDI n° ARB/08/9, paragraphe 134
5 Ibid, paragraphe 148-151
6 Alemanni c. Argentine, décision sur la compétence et la recevabilité, 17 novembre 2014, affaire CIRDI n° ARB/07/8, paragraphe 276
7 Adamakopoulos c. Chypre, décision sur la compétence, 7 février 2020, affaire CIRDI n° ARB/15/49, paragraphe 190
8 American Arbitration Association, "Supplementary Rules for Class Arbitration" (Règles supplémentaires pour l'arbitrage de classe)
Le contenu de cet article est destiné à fournir un guide général sur le sujet. Il convient de demander l'avis d'un spécialiste sur votre situation particulière.