Autriche : L'arbitrage à l'époque du Covid-19 : une perspective autrichienne
Auteur : Sharon Schmidt
L'augmentation progressive des infections COVID-19 a, au moment où nous écrivons ces lignes, provoqué un total de 655 112 décès (source : OMS) dans le monde. Sa portée mondiale a incontestablement et irrévocablement transformé la vie telle que nous la connaissons, ne laissant intacte aucune industrie, économie ou interaction personnelle. Les chaînes d'approvisionnement internationales ont été interrompues, le commerce mondial déstabilisé et les marchés boursiers ont chuté.
Si certains gouvernements ont choisi de reprendre les activités en mettant en œuvre des mesures, notamment pour rouvrir les crèches et les écoles primaires et lever les restrictions de voyage, d'autres ont exprimé des inquiétudes quant au relâchement, voire à l'abandon, des mesures de confinement compte tenu du risque réel de déclenchement d'une nouvelle vague d'infections massives. Pourtant, quelles que soient les considérations politiques qui sous-tendent ces actions divergentes, l'incertitude demeure quant au moment où l'on peut s'attendre à une reprise complète et sûre des activités économiques.
Comme de nombreuses relations commerciales ne sont pas en mesure de respecter leurs obligations de service, la pandémie a donné lieu à toute une série de questions juridiques sur la question de savoir si et dans quelle mesure les créances contractuelles sont exécutoires et sur qui doit supporter les conséquences économiques en l'absence de faute clairement imputable. Il serait erroné de prévoir comment la crise du coronavirus affectera l'arbitrage international, mais son impact ne peut être nié jusqu'à présent. Les audiences d'arbitrage ont été reportées et les conférences internationales annulées. Des directives contradictoires s'appliquant à des lieux différents pour les parties, les arbitres et les témoins, des inquiétudes persistent quant à la manière de mener les audiences en toute sécurité dans un avenir prévisible. Cependant, comme beaucoup craignent que le virus ne devienne endémique et que les interventions non médicales, comme la distanciation sociale, devraient rester en place dans un avenir prévisible, de nouvelles voies sont nécessaires pour faire face aux nouveaux défis juridiques. C'est là que l'arbitrage, en raison de son recours aux outils en ligne, peut apporter la souplesse nécessaire en ces temps sans précédent.
Les paragraphes suivants aborderont l'impact et les défis posés par COVID-19 à ceux qui s'engagent dans l'arbitrage. Il abordera les dispositions adoptées par le système judiciaire autrichien et exposera les méthodes et les solutions possibles pour mener des audiences d'arbitrage dans le cadre de COVID-19.
II. La réponse de l'Autriche
En essayant d'éviter les retards perpétuels, les principales institutions d'arbitrage ont proposé un certain nombre de mesures alternatives sur la manière de conduire les procédures d'arbitrage.
Dans le but de réduire au minimum le nombre de perturbations potentielles, exacerbées par ceux qui cherchent à se soustraire à la responsabilité d'arbitrage, les lignes directrices institutionnelles ont été et continuent d'être régulièrement mises à jour. Les réponses ont été très variées, beaucoup ayant recours à des réunions virtuelles, à des conférences téléphoniques et à de nouveaux canaux pour la soumission de documents et le dépôt de demandes.
Mener une procédure arbitrale en l'absence d'audiences en personne constitue une diversion fondamentale par rapport à ce que l'on peut considérer depuis longtemps comme un élément indispensable d'une procédure régulière.
Le système judiciaire autrichien a reconnu la nécessité d'une telle approche révisée en adoptant de nouvelles stratégies qui s'écartent des traditions bien établies et des techniques fiables considérées auparavant comme essentielles pour les procédures d'arbitrage.
Le 25 mars 2020, le gouvernement autrichien a mis en place le Bundesgesetz betreffend Begleitmaßnahmen zu COVID-19 in der Justiz ("Loi fédérale autrichienne sur les mesures Covid-19 pour le système judiciaire"), qui doit rester en vigueur jusqu'au 31 décembre 2020. Sa première partie énonce des règles concernant les affaires civiles, en mettant l'accent sur les interruptions des délais de procédure ainsi que sur la suspension des délais d'introduction de l'instance, y compris la prescription. Mais c'est l'introduction de restrictions pour les procédures orales et la signification des actes de procédure qui mérite d'être soulignée. Outre les limites à la liberté de circulation déjà mises en place, les audiences orales ne doivent avoir lieu que si la plus grande nécessité peut être démontrée. Toute forme de communication doit être effectuée par des moyens technologiques, que ce soit par téléphone ou par vidéoconférence, tandis que le transfert physique des documents doit se faire par voie postale et ne doit être utilisé qu'en cas d'urgence. Le système de dépôt électronique des documents judiciaires reste pleinement opérationnel. La loi offre également des informations sur les effets d'une éventuelle cessation des services judiciaires rendus par les tribunaux autrichiens (article 4), l'impact du défaut de paiement en vertu de l'article 156a, paragraphe 1, du code autrichien de l'insolvabilité (article 5), les prolongations des délais de contrôle des fusions (article 6), les avances sur les pensions alimentaires (article 7) et les pouvoirs du ministre de la justice (article 8).
Bien que les procédures d'arbitrage ne soient pas soumises aux dispositions de la loi, les arbitres et les tribunaux se voient confier d'importantes libertés dans la détermination de la manière d'équilibrer efficacement les intérêts des parties prenantes dans les arbitrages en cours. Le Centre international d'arbitrage de Vienne (VIAC) avait initialement annoncé que toutes les soumissions et communications avec ses bureaux seraient exclusivement traitées par voie électronique jusqu'à nouvel ordre. Sa toute nouvelle liste de contrôle pratique pour les audiences à distance offre un point de référence utile sur les mesures préparatoires à envisager lors de la planification de ces audiences. Des questions juridiques telles que le risque de contestation potentielle des sentences arbitrales ainsi que le droit d'être entendu et traité sur un pied d'égalité sont également traitées dans un article récemment publié et disponible sur son site web.ii Cherchant à encourager une plus grande collaboration entre les professionnels du droit, des processus et des technologies, le protocole des plates-formes a été lancé pour une consultation publique jusqu'au 31 août.iii Depuis le 30 mai, les audiences en personne peuvent reprendre dans les locaux de la VIAC, mais la disponibilité des salles reste limitée.
En outre, la Chambre de commerce internationale (CCI) continue de progresser dans l'attente des arbitrages, son secrétariat et son centre d'ADR restant pleinement opérationnels. Comme la LCIA et le HKIAC, il est toutefois conseillé de communiquer par voie électronique. Les mesures recommandées pour garantir que les différends sont réglés de manière rentable, équitable et rapide, ont été mises à disposition par le biais de sa note d'orientation.iv
Compte tenu de la récente recrudescence des cas de coronavirus, il ne faut pas s'attendre à une diminution des litiges et des procédures d'arbitrage. Au contraire, de nouvelles réclamations sont susceptibles d'apparaître, notamment en ce qui concerne le transit international, la confidentialité des données, les biotechnologies, les assurances, l'emploi ainsi que les litiges commerciaux et d'investissement. En outre, les effets des mesures d'urgence mises en œuvre au niveau national précipiteront de nouvelles questions juridiques concernant la violation, l'exécution et l'exonération de responsabilité ainsi que la prévisibilité, le caractère raisonnable, la perte, le dommage et l'obligation d'atténuer.
III. Options à envisager
Comme de nombreuses parties doivent reconstruire leurs relations commerciales par des méthodes autres que la stricte application des conditions contractuelles, les processus de règlement des litiges comme l'arbitrage sont une option intéressante. À la lumière de la pandémie COVID-19, de nouvelles options innovantes sont nécessaires pour s'assurer que les parties ont la possibilité de présenter pleinement leur cas. Les méthodes suivantes méritent d'être envisagées :
1. Ajournement des audiences en personne jusqu'à ce que ces procédures soient à nouveau considérées comme sûres
Si cette option permet aux parties d'éviter d'avoir à mettre en place les dispositions nécessaires pour une audition à distance, la durée des restrictions actuelles reste incertaine. De nombreuses entreprises étant déjà soumises à de fortes pressions en raison de flux de trésorerie incertains ou stagnants, cette option pourrait ne pas être viable.
2. Permettre la résolution du litige "sur le papier
Cette méthode peut s'avérer utile pour les questions qui dépendent moins des preuves factuelles et du contre-interrogatoire. Cependant, même dans ce cas, l'utilisation de cette méthode ne réduirait que partiellement les retards dans les décisions finales et provisoires et pourrait inciter les parties à régler plus rapidement.
3. Diviser les demandes en ne laissant que certaines à résoudre par arbitrage
Cette approche se prête à des affaires avec des chefs de demande distincts.
4. Conduite d'une audition à distance
Compte tenu de la coordination logistique requise pour la planification des audiences à distance, les parties doivent garantir la disponibilité d'une connexion internet sécurisée ainsi que l'accessibilité aux documents nécessaires et aux logiciels/matériels requis. En outre, elles doivent tenir compte des heures de séance, des fuseaux horaires et de la durée des procédures, ainsi que de la possibilité de créer des espaces virtuels distincts pour permettre une communication aisée entre les arbitres et les équipes juridiques. Les parties devraient envisager de s'inspirer des recommandations énoncées dans le protocole de Séoul sur la vidéoconférence dans l'arbitrage international, couvrant un large éventail d'aspects pratiques pour garantir l'équité de la procédure. Cette option a également été reconnue comme une alternative viable par la Chambre de commerce et d'industrie de la Fédération de Russiev et est conforme à l'article 25(2) du règlement d'arbitrage de la CCI 2017.vi
La technologie de la vidéoconférence étant déjà fréquemment utilisée, les délibérations des partis ne risquent pas d'être affectées. Les dossiers d'audience peuvent être mis à disposition sous forme électronique et faciliteront le travail des praticiens grâce aux renvois hyperliés et au fait que les nouveaux documents peuvent être mis à disposition immédiatement. De même, les sentences arbitrales peuvent être transmises par courrier électronique, bien que la transmission des originaux et des copies certifiées aux parties puisse avoir lieu à un stade ultérieur. Néanmoins, les signatures électroniques sont devenues une pratique quotidienne dans les transactions commerciales et ne constituent donc pas une source de préoccupation. Il reste à savoir si l'instance dans laquelle l'arbitrage respectif doit avoir lieu permettra de s'écarter des formalités des audiences en personne et des processus traditionnels de délivrance de documents. C'est là qu'il est conseillé aux parties de confirmer avec leur avocat la meilleure façon de procéder avant de s'engager dans un arbitrage à distance. Compte tenu du recours accru aux outils de communication en ligne, il est essentiel, entre autres, qu'un programme de vidéoconférence sécurisé soit utilisé avec un cryptage de bout en bout et que les salles d'audience virtuelles soient strictement limitées aux participants alloués.vii
Les parties devraient envisager des méthodes recommandées sur la manière d'adhérer à un niveau élevé de sécurité en ligne ainsi qu'aux obligations en matière de protection des données personnelles lors de la conduite de procédures d'arbitrage international. À cette fin, elles peuvent se référer aux lignes directrices de précaution énoncées dans le protocole de 2020 sur la cybersécurité pour l'arbitrage international,viii la feuille de route ICC-IBA pour la protection des données dans l'arbitrage international,ix le protocole ICCA-NYC Bar-CPR sur la cybersécurité dans l'arbitrage internationalx ainsi que le protocole de l'Académie africaine sur l'audition virtuelle en Afrique.
IV. Où aller à partir d'ici
Compte tenu de l'afflux inévitable de cas qui devraient résulter des événements survenus depuis l'apparition de l'épidémie, il reste primordial que les demandes d'indemnisation soient introduites dès que les faits nécessaires peuvent être établis. Étant donné que les institutions d'arbitrage ont signalé leur intention de poursuivre leurs activités, il est prudent pour les parties prenantes de peser soigneusement et rapidement leurs options d'arbitrage. Les parties privées ont également la possibilité d'examiner les conditions contractuelles existantes et d'envisager d'intégrer l'utilisation d'outils technologiques dans les règles de procédure de leurs conventions d'arbitrage. Comme il existe une grande incertitude quant à la durée et aux mesures mises en œuvre pour contenir la propagation du virus, il est crucial que les parties établissent un plan d'urgence au cas où les audiences physiques ne seraient pas une option possible dans les semaines ou les mois à venir. Bien que la progression des affaires puisse être plus lente, l'utilisation des outils électroniques pour la soumission de documents, la communication et la correspondance se sont avérées être des options efficaces dans le passé et devraient maintenant être développées.
En fin de compte, le succès de tout arbitrage exige une préparation adéquate qui, à son tour, dépendra des circonstances spécifiques de l'affaire et pour laquelle il ne peut y avoir de cadre global. Refuser de s'adapter à ces nouvelles conditions en raison de la simple commodité des pratiques d'audience habituelles ne peut constituer une base justifiable au vu des défis actuels et des risques sanitaires que l'épidémie entraîne. Comme une justice retardée est une justice refusée, "les institutions publiques telles que la Cour doivent faire tout leur possible pour faciliter la poursuite de l'économie et des services essentiels du gouvernement, y compris l'administration de la justice". (Capic contre Ford Motor Company of Australia Limited (Ajournement) [2020] CAF 486 ; paragraphe 5).
La menace posée par Covid-19 est une menace qui exige la diligence et l'engagement des dirigeants et du secteur des soins de santé, mais elle dépend également du soutien de la société civile. À ce titre, les parties, les arbitres et les représentants légaux ont le devoir commun de minimiser les effets de l'épidémie et d'enrayer sa propagation. L'apparition du virus a modifié et continuera sans aucun doute à modifier les pratiques d'arbitrage existantes et obligera les participants et les parties prenantes à s'adapter, à réfléchir et à améliorer le système actuel. Il s'avérera également être le moteur de l'avancement de processus bien établis mais dépassés, d'une manière qui dépende moins des rituels rigoureux des pratiques judiciaires conventionnelles, mais qui puisse au contraire transcender les adversités d'une époque comme celle-ci.
Notes de bas de page
i Centre d'arbitrage international de Vienne, 2020, "Le protocole de Vienne. A Checklist for Remote Hearings", VIAC, consulté le 1er juillet 2020, https://www.viac.eu/images/documents/The_Vienna_Protocol_-_A_Practical_Checklist_for_Remote_Hearings_FINAL.pdf
ii Scherer, M., 2020, "Remote Hearings in International Arbitration : An Analytical Framework", Journal of International Arbitration, volume 37, numéro 4, consulté le 28 juin 2020, https://www.viac.eu/images/COVID19/Maxi_SCHERER_Remote_Hearings_in_International_Arbitration_An_Analytical_Framework_May_2020.pdf
iii Protocole pour la gestion des cas en ligne dans l'arbitrage international Gestion des cas en ligne, Arbitrage international, 2020, consulté le 2 juillet 2020, https://protocol.techinarbitration.com/p/1
iv Chambre de commerce internationale, 2020, "ICC Guidance Note on Possible Measures Aimed at Mitigating the Effects of the COVID-19 Pandemic", ICC, consulté le 9 avril 2020, https://iccwbo.org/content/uploads/sites/3/2020/04/guidance-note-possible-measures-mitigating-effects-covid-19-english.pdf
v The International Commercial Arbitration Court, 2017, "ICAC Rules", ICAC, consulté le 27 juin 2020, https://mkas.tpprf.ru/en/documents/
vi Chambre de commerce internationale, 2019, "Arbitration Rules. Règlement de médiation", CCI, consulté le 1er juillet 2020, https://iccwbo.org/content/uploads/sites/3/2017/01/ICC-2017-Arbitration-and-2014-Mediation-Rules-english-version.pdf.pdf ; voir aussi Mirèze, P., 2020, "Offline or Online ? Virtual Hearings or ODR", Kluwer Arbitration Blog, consulté le 1er juillet 2020 http://arbitrationblog.kluwerarbitration.com/2020/04/26/offline-or-online-virtual-hearings-or-odr/?doing_wp_cron=1591917290.5999879837036132812500
vii Chartered Institute of Arbitrators, 2020, "Guidance Note on Remote Dispute Resolution Proceedings", CIArb, consulté le 1er juillet, https://www.ciarb.org/media/8967/remote-hearings-guidance-note.pdf ; voir également The International Council for Online Dispute Resolution, 2020, "ICODR Video Arbitration Guidelines", ICODR, consulté le 27 juin 2020, https://icodr.org/guides/videoarb.pdf
viii DELOS, 2020, "Resources on Holding Remote or Virtual Arbitration and Mediation Hearings", DELOS, consulté le 25 juillet 2020, https://delosdr.org/index.php/2020/05/12/resources-on-virtual-hearings/
ix International Counsel for Commercial Arbitration, 2020, "The ICCA-IBA Roadmap to Data Protection in International Arbitration", ICCA, consulté le 3 mai 2020, https://www.arbitration-icca.org/media/14/18191123957287/roadmap_28.02.20.pdf
x International Counsel for Commercial Arbitration, 2020, "ICCA-NYC Bar-CPR Protocol on Cybersecurity in International Arbitration", ICCA, consulté le 1er juillet 2020, https://www.arbitration-icca.org/media/14/76788479244143/icca-nyc_bar-cpr_cybersecurity_protocol_for_international_arbitration_-_print_version.pdf
xi Académie africaine d'arbitrage, 2020, "Africa Arbitration Academy. Protocol on Virtual Hearings", Académie africaine d'arbitrage, consulté le 1er juillet 2020, https://www.africaarbitrationacademy.org/wp-content/uploads/2020/04/Africa-Arbitration-Academy-Protocol-on-Virtual-Hearings-in-Africa-2020.pdf
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